ESS : économie sociale et solidaire

Tatiana Reyes (UTT)

Projet ET-LIOS

CC 4.0 BY-NC-SA + licence commerciale ET-LIOS

Objectifs

1) Montrer les premiers systèmes low-techs existants ou possibles liés à une transformation par réforme.

2) Présenter différentes manières de répondre à des besoins avec l’innovation sociale.

Introduction

L’économie sociale et solidaire (ESS) se rapporte aux organisations et entreprises fondées sur des principes de solidarité et de participation, qui produisent des biens et des services tout en poursuivant des finalités à la fois économique et sociale. Nous connaissons tous des coopératives, des mutuelles, des associations ou des entreprises sociales oeuvrant dans le secteur social et/ou économique. L’ESS englobe diverses organisations et entreprises qui partagent toutes des objectifs, des valeurs et des principes de fonctionnement sociaux et économiques.

Qu’est-ce que l’ESS ?

Cartographie

L’ESS fait référence à des formes particulières d’entreprises et d’organisations. Il s’agit d’un groupe dynamique et évolutif d’acteurs qui promeuvent et dirigent des organisations économiques centrées sur la personne. (Coopératives, mutuelles, associations et entreprises sociales sont les plus courantes, mais cette énumération est non exhaustive.)

Coopératives

Une coopérative est une « association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement » (ACI 1995 ; OIT 2002 - Recommandation (no 193) sur la promotion des coopératives, Section I, Paragraphe 2). Toutes les coopératives ne sont pas légalement enregistrées ; il est fréquent que des groupes de producteurs ou de consommateurs choisissent cette forme d’organisation alors même quelle n’est pas légalement reconnue en tant que coopérative. L’entreprise de type coopératif se retrouve dans la quasi-totalité des secteurs d’activité, allant de l’agriculture à l’assurance, en passant par l’épargne et le crédit, la distribution, les travailleurs, l’habitation, la santé et les consommateurs.

Commenté [AS1]: Historique : Formalisée par la Société des équitables pionniers de Rochdale (Manchester, Angleterre, 1844), l’entreprise coopérative a connu une rapide expansion et se retrouve aujourd’hui aux quatre coins du globe.

Les mutuelles

Les organisations d’aide mutualiste ont toujours existé. Les mutuelles sont des organisations dont la raison d’être est essentiellement d’offrir des services sociaux à leurs membres et leurs personnes à charge. Ces mutuelles – formelles ou informelles – répondent aux besoins qu’on les communautés d’organiser une prévoyance collective en mutualisant des risques de nature divers : paiement des soins de santé, achat de médicaments, couverture en cas de maladie ou d’accident, soutien matériel à la famille d’un défunt, rapatriement d’un corps, dépenses liées au rituel (entreprises funéraires par exemple), mauvaises récoltes, mauvaises saisons de pêche, etc. Les mutuelles offrent des services par un mécanisme de partage des risques et de mutualisation des ressources. Elles se distinguent surtout des sociétés d’assurance classiques par leur finalité non lucrative et le fait qu’elles ne sélectionnent pas leurs membres ni ne calculent de primes sur la base des risques individuels.

Les associations et les organisations communautaires

La liberté d’association est un droit humain reconnu, mais dont la pratique dépend de sa sauvegarde par les juridictions nationales et de l’acceptation et du soutien vis-à-vis des initiatives concernées. Les innombrables associations, organisations volontaires, organisations communautaires, associations à but non lucratif et groupements d’intérêt économique, qu’elles soient « modernes », « communautaires » ou « traditionnelles », présentent un fonctionnement (règles négociées et réciprocité garantie notamment par le contrôle social, etc.) et des finalités (utilité économique ou production et maintien de liens sociaux par exemple) de même nature. Les associations construites à partir du lien communautaire dans l’ESS ont entre autres objectifs, celui de réduire l’écart entre les individus et les pouvoirs institutionnalisés. Les associations présentent de nombreux avantages, tels que la relative flexibilité dans la mise en place et le fonctionnement, et des structures permettant de nouvelles formes de sociabilité (particulièrement en milieu urbain).

Les entreprises sociales

L’entrepreneuriat social est un concept relativement récent et un phénomène en forte émergence. En Europe et en Amérique du Nord, le phénomène est apparu dans un contexte de crise à la fin des années 70 pour répondre aux besoins sociaux non satisfaits et aux limites des politiques traditionnelles dans le domaine du social et de l’emploi destinées à contrer l’exclusion sociale (Nyssens, 2006). Il est né de la volonté de certaines associations volontaires à créer des emplois pour les personnes exclues du marché du travail traditionnel et des entrepreneurs individuels qui souhaitaient diriger des entreprises mais dans une perspective sociale marquée.

Les fondations

Si les fondations peuvent être en partie qualifiées de composantes de l’ESS, toutes les organisations de ce type ne s’inscrivent pas dans cet esprit.

Dans certains pays, on distingue les fondations d’utilité publique et les fondations privées (Gijselinckx & Develtere, 2006). Les fondations d’utilité publique poursuivent un objectif public désintéressé et donc servent les intérêts de la collectivité. Dans le cas des fondations privées, l’objectif est également désintéressé mais peut être de nature privée ; c’est alors que leur appartenance à l’ESS peut être plus discutable.

Caractéristiques communes des organisations ESS

Finalités

L’économie sociale n’est pas par définition une économie des plus pauvres ou des plus vulnérables. Il s’agit en fait d’un choix qui est fait. Les individus peuvent choisir de combiner les finalités (économiques, sociales, environnementales ou autres), ne pas maximiser le retour sur investissement et mettre en place des modèles de gouvernance participatifs.

En raison des principes et mécanismes de solidarité induits, les entreprises et organisations de l’économie sociale sont souvent les seules formes accessibles à des personnes ne pouvant rassembler suffisamment de capital ou d’autres types de ressources pour initier et développer des activités économiques. Et en effet, comme l’a bien décrit Jacques Defourny (1992), la nécessité est souvent une condition à la base de l’émergence d’initiatives d’économie sociale. La finalité notamment sociale de ce type d’économie entraîne aussi qu’elle se dirigera plus naturellement vers des groupes, usagers ou clients qui n’ont pas ou de manière limitée accès à l’emploi ou à certains biens ou produits.

L’économie sociale se développe ainsi tout autant par aspiration que par nécessité (Lévesque, 2003). Les organisations d’économie sociale ont toutefois intérêt à assurer une mixité sociologique de leurs membres tant qu’elles garantissent que ces derniers ont bien des intérêts communs.

Commenté [AS2]: En effet, il n’y a pas de sens à ce qu’une mutuelle de santé par exemple regroupe des membres dont le profil ou l’activité économique les rendraient plus vulnérables d’un point de vue sanitaire. Cela reviendrait à mettre en place des mécanismes de solidarité entre pauvres ou entre personnes vulnérables (solidarité distributive). Au contraire, une organisation d’économie sociale a tout intérêt à ce que les membres proviennent de catégories économiques et sociales différentes afin d’assurer une plus grande viabilité économique et de permettre une solidarité redistributive. Les organisations doivent bien souvent trouver un équilibre entre cet intérêt économique, ce mécanisme solidaire et un degré satisfaisant de cohésion sociale, indispensable à l’action collective.

Participation

Les membres, usagers, ou bénéficiaires des OESS ont la possibilité d’être propriétaires de l’organisation ou de participer activement au processus de prise de décision. En reconnaissant aux membres ou aux bénéficiaires/usagers de manière équitable la qualité de pouvoir concourir aux décisions, ces organisations instituent des méthodes de fonctionnement participatives.

Solidarité et innovation

Les méthodes de fonctionnement des organisations d’économie sociale sont souvent qualifiées de solidaires. Certains auteurs préfèrent d’ailleurs l’appellation « économie solidaire » pour justement mettre l’accent sur cette dimension. Les méthodes de fonctionnement basées sur le principe de solidarité visent l’inclusion plutôt que l’exclusion ; leur finalité ne se limite pas à l’accumulation ou à l’enrichissement mais plutôt à l’utilisation de ressources pour atteindre des objectifs profitant aux initiateurs comme aux travailleurs et usagers/bénéficiaires.

Engagement volontaire et autonomie

Les coopératives, mutuelles et autres associations se distinguent par le fait que les personnes s’y engagent de manière libre et volontaire, et donc sans y être contraintes.

Commenté [AS3]: Historique : Dans certains pays ou à certaines époques, la représentation que l’on a des organisations sociales et solidaires ne va pas systématiquement de pair avec les notions d’affiliation volontaire ou l’action collective, car ces formes d’organisations ont été ou sont exploitées par les gouvernements ou les autorités coloniales dans le but de contraindre la population à des fins productives ou politiques.

Dimension collective

L’émergence des OESS résulte de la volonté de personnes et/ou de groupes de s’unir pour répondre à des besoins ressentis par eux mêmes ou par d’autres. C’est ce qui fait dire à certains auteurs (Defourny & Develtere, 1999) que la cohésion sociale et l’identité collective sont presque systématiquement associés à l’économie sociale.

Commenté [AS4]: Historique : Traditionnellement, ce facteur collectif distingue les OESS des entreprises privées à but lucratif, où l’entrepreneur (entendu comme individu) est présenté comme le moteur de l’initiative.

Gouvernance et gestion d’une OESS 

Gouvernance et Gestion des OESS

La distinction fondamentale entre ces deux notions réside dans le fait que la gouvernance définit un cadre de conduite des activités de l’organisation, tandis que la gestion concerne la mise en oeuvre quotidienne de ces activités selon les conditions définies par le cadre. La notion de gouvernance est donc plus étendue que celle de gestion car elle précise les politiques sur lesquelles s’appuie le travail de gestion.

Propriété et gouvernance

À la différence des entreprises capitalistes cependant, la plupart des OESS n’ont pas établi de séparation effective entre les rôles de gouvernance et ceux de gestion. Cela s’explique en partie par le fait que ces organisations opèrent sur la base de principes collectifs et démocratiques engendrant la prévalence de l’autogestion et de la gestion collective par opposition à la gestion hiérarchique caractéristique des entreprises capitalistes.

L’autogestion

Il s’agit par essence du principe de leadership démocratique au sein des OESS. L’autogestion confère à tous les membres (et parfois aux travailleurs et usagers) le droit de participer à la gouvernance et la gestion de l’organisation en votant sur les questions induisant la prise de décisions. À la différence des entreprises privées où les actionnaires votent sur la base de leur part de capital dans la société, les membres des OESS disposent quant à eux du même droit de vote. En mettant tous les membres sur un pied d’égalité, l’autogestion permet à chacun d’entre eux de contrôler l’organisation. Les structures solidaires servent à générer des biens et services pour les membres et leurs personnes à charge. Pour mener leurs activités, les membres s’appuient sur des règles négociées et réciproques basées sur l’action collective et le contrôle social, ce qui contribue fondamentalement à l’établissement d’une structure de leadership plus ou moins horizontale atténuant l’autorité hiérarchique dans le cadre de la gouvernance et de la gestion. Chaque membre est donc amené à assumer de temps à autre la gouvernance tout comme la gestion de l’organisation.

Gestion collective

Lorsqu’une organisation est détenue par ses membres, cette forme de contrôle peut mener à un partage des responsabilités entre ces personnes, sans pour autant nécessairement abandonner l’autorité de contrôle démocratique qui revient à chacun. Ainsi les membres gèrent collectivement les organisations, mais jouent des rôles distincts. C’est ce que nous appelons gestion collective. Cette forme de gestion est couramment appliquée dans les organisations sociales et solidaires d’envergure moyenne à grande, essentiellement en Europe, en Amérique du Nord et en Afrique. Elle est née du manque d’efficacité potentiel de l’autogestion au sein des structures de grande échelle (Davis, 2004 : 92).

Gestion hiérarchique

La gestion hiérarchique dans l’ESS peut émaner d’une sollicitation en termes d’efficacité et de compétitivité, ou parfois apporter une réponse à l’environnement juridique des organisations. Ainsi dans les pays anglophones qui suivent la tradition britannique du développement coopératif, des cadres juridiques ont été élaborés afin d’orienter la gouvernance et la gestion des coopératives. Cette législation s’appuie sur la notion de dualité propre aux coopératives, qui présentent en effet une partie « entreprise » qui génère les fonds et une partie « sociale » qui les dépense.

Gestion des ressources au sein des OESS

Pour répondre à la nécessité au sein de la société, les solutions proposées par les individus sont généralement très variées, et la plupart se soldent par la création d’OESS. Issus de la nécessité (Defourny & Develtere, 2009 : 18), les besoins de l’ESS en matière de ressources sont aussi divers que les problèmes auxquels la société humaine est confrontée. En résumé, les OESS nécessitent une multitude de ressources, tant humaines que financières, pour pouvoir produire des biens et services en réponse aux situations de risque et de pénurie auxquelles la société humaine peut se voir confrontée.

Commenté [AS5]: Pour protéger leurs membres des risques variés que ceux-ci peuvent rencontrer, les mutuelles ont besoin de ressources pour couvrir les cas de maladie, dépenses funéraires, mauvaises récoltes, frais de scolarité et autres formes de conditions de vie précaires. Dans le même esprit, les organisations communautaires et les associations sont confrontées à une foule de problèmes à gérer pour répondre aux besoins des individus et de la collectivité : les volumes insuffisants en matière de travail agricole et d’élevage ; l’éducation, la santé, l’eau, la communication et les équipements de l’habitation ; et les innovations dans des activités économiques diverses pour améliorer les conditions de vie, entre autres. Les coopératives et les entreprises sociales de différents secteurs ont besoin d’un fonds de roulement pour pouvoir fonctionner et améliorer la productivité de leurs diverses entreprises afin de répondre à leurs objectifs sociaux.

Origine des ressources

Très diverses. Ces organisations ont largement recours aux ressources fournies par leurs initiateurs et/ou membres. Une autre partie des ressources peut être dû à l’activité de l’organisation en elle-même.

Commenté [AS6]: Les ressources apportées par les membres au sein des coopératives prennent la forme de parts sociales Dans les mutuelles, les organisations communautaires et les associations, il s’agit de cotisations périodiques, d’apports en nature et de volontariat. Dans les entreprises sociales, ces apports prendront la forme de participation au capital ou d’apports en nature. Dans le cas des fondations, ce sont les partisans de la cause défendue qui réalisent des dons ou des legs à caractère philanthropique.

Politique du développement de l'ESS

L’ESS est un phénomène qui a gagné en visibilité sur les plans économique, social et politique. Sa particularité réside dans la manière dont elle a influencé la planification des politiques publiques, dès lors que ses sujets – organisations et entités – cherchent à obtenir reconnaissance, institutionnalisation et soutien dans le cadre des projets et activités menés.

Les politiques publiques de l’ESS

Les initiatives en matière de production et de prestation de services sociaux et personnels, organisées d’après la liberté d’association et les principes de coopération et d’autogestion, apparaissent dans de nombreux pays sous différents noms. L’existence et la croissance de ce domaine pratique a en effet engendré la mise en place par des organismes publics, des programmes et des actions visant à promouvoir ces pratiques pour générer travail, revenus, participation sociale et démocratique et meilleure qualité de vie (Gaiger, 2004 ; Morais & Bacic, 2009).

Neamtan & Downing (2005) suggèrent quatre catégories prépondérantes en matière de politique publique au service de l’ESS :

Politique territoriale

Elle vise à soutenir les collectivités locales pour former des réseaux, établir des processus de planification stratégique et mettre sur pied des projets collectifs.

Commenté [AS7]: Exemples : On peut citer les exemples des Orientations stratégiques communautaires en Espagne ; la Community Interest Company au Royaume-Uni ; la Low-profit Limited Liability Company américaine ; les Sociétés d’aide au développement des collectivités au Québec ; le Regional Partnerships Programme en Australie et Local au Brésil.

Outils génériques de développement

Ces instruments sont destinés à permettre l’accès à des outils d’investissement et à des marchés adéquats, à la recherche et au développement ainsi qu’à des ressources les aidant à mettre en place des pratiques de gestion efficaces ainsi que des systèmes de formation et de gestion. 

Politiques sectorielles

Ces politiques appuient la naissance ou le renforcement de secteurs économiques précis et représentent donc des outils importants pour le développement de l’ESS.

Commenté [AS8]: Domaines : L’environnement, les services personnels, le logement, les nouvelles technologies, les communications, le tourisme, les services alimentaires, la culture, et plusieurs autres

Politiques en faveur des populations ciblées

Ces politiques oeuvrent à trouver des moyens d’intégrer les citoyens considérés comme non productifs dans la population active et permettent de soutenir l’intégration socio-économique des groupes cibles (les jeunes, les handicapés, les immigrants). On peut citer quelques exemples tels que le Fonds d’assistance aux groupes prioritaires au Brésil ; les Groupements d’intérêt économique sénégalais et la Second Economy sud-africaine. 

Une construction ascendante

Pour être plus efficaces, il est absolument fondamental que les politiques publiques de l’ESS soient élaborées sur une base de « co-production » ; elles doivent donc être le fruit d’une action collective par les citoyens, « l’aboutissement de processus d’interactions entre des initiatives associatives et des politiques publiques » (Laville, 2006:27).

Les gouvernements ne sont pas aussi bien placés que les intervenants de la société civile pour mettre en lumière les besoins naissants et de nouvelles pratiques afin de favoriser un développement intégré.

Les organisations de la société civile ont accumulé des connaissances sur la réalité pratique de l’ESS et peuvent accroître l’étendue de leurs activités sur la base de l’interaction avec le pouvoir public soit en concevant, soit en appliquant des politiques publiques visant à encourager, promouvoir, soutenir, superviser et diffuser l’ESS.

Actions transversales

L’ESS a un caractère transversal : elle peut mobiliser divers domaines de l’action publique. Outre ses finalités économiques (création d’emploi et de revenus), sociales (amélioration des conditions de sociabilité, consolidation des liens territoriaux) et politiques (création d’espaces publics destinés à la discussion et la résolution de problèmes), l’ESS peut mobiliser une dimension culturelle et environnementale, et ainsi agir à toutes les échelles.

Réseaux de l'ESS

Partenariats et réseaux sont un facteur clé de réussite pour le développement de l’ESS. La durabilité de l’ESS est fonction de sa capacité à s’enraciner dans la communauté, mobiliser les diverses parties prenantes et établir des alliances puissantes avec les partenaires sociaux et les pouvoirs publics. Individuellement, les entreprises ou organisations ne peuvent accomplir cette mission. Il leur faut entreprendre des efforts combinés sur le long terme et parfois mettre en commun leurs ressources. Les réseaux et partenariats représentent par conséquent une composante essentielle pour toute ESS.

Les formes de collaboration

Les efforts collaboratifs prennent des formes diverses dans le cadre de l’ESS. En fonction de leurs objectifs, la coopération entre les parties prenantes s’exprime par la création de partenariats, réseaux ou fédérations.

Partenariats

Des partenariats sont créés sous forme de relations de coopération entre les individus ou les groupes qui acceptent de partager la responsabilité de réalisation d’un objectif donné. Ils peuvent prendre des formes diverses et inclure une pléthore d’acteurs. Ils revêtent un caractère crucial pour l’ESS, dont le développement dépend d’un ensemble de ressources ainsi que de l’expertise.

Réseaux

Les réseaux sont des structures non hiérarchiques qui rassemblent des organisations ou des personnes partageant des intérêts ou des besoins identiques. Il s’agit souvent de structures horizontales qui lient les acteurs et partenaires de l’ESS sur un territoire donné.

Fédérations ou confédérations

Les fédérations ou confédérations sont des structures formelles obéissant à des principes clairs en matière d’autorité et de prise de décision. Elles prédominent dans le secteur coopératif, manifestation du sixième principe coopératif adopté par l’Alliance Coopérative Internationale (ACI), à savoir la coopération entre coopératives. Les autres principes sont l’adhésion libre et volontaire, le pouvoir démocratique exercé par les membres, la participation économique des membres, l’autonomie et l’indépendance, l’éducation, la formation et l’information ainsi que l’engagement envers la communauté.

Principaux acteurs

Les OESS répondent à des besoins collectifs. Leur rentabilité ne se mesure pas en bénéfices financiers pour les investisseurs individuels, mais en retour social pour leurs membres ou la communauté dans son ensemble. Pour atteindre leurs objectifs, elles mobilisent les ressources issues du marché, du volontariat, et les ressources publiques. C’est pour cette raison qu’intervient une multitude d’acteurs afin de soutenir le développement de l’ESS au travers des partenariats et des réseaux.

Rôles et fonctions des réseaux en matière de soutien de l’ESS

ROLES des RESEAUX

Services communs

De nombreux réseaux sectoriels et certains réseaux territoriaux proposent des services directs à leurs membres. Formation, assistance technique, promotion, marketing et autres services sont les plus fréquents développés par les réseaux d’ESS. 

Améliorer l’accès aux marchés 

L’amélioration de l’accès aux marchés constitue l’un des rôles les plus courants des réseaux au sein du mouvement coopératif, mais il est aussi repris par d’autres formes de réseaux. Nombre de fédérations coopératives, et plus particulièrement des coopératives de producteurs, ont été créées dans cette perspective. Au fil des années, elles ont mis en place des institutions puissantes afin d’appuyer cette fonction et elles sont actives sur les marchés mondiaux. Les réseaux émergents se concentrent souvent sur les principes et circuits du commerce équitable. On observe parmi les entreprises de l’ESS une tendance croissante aux transactions interentreprises, exprimant les valeurs et les intérêts communs.

Mener des recherches et développer un savoir

L’ESS est un laboratoire d’innovation sociale. Il en découle de nombreux enjeux, parmi lesquels le besoin de mieux comprendre l’ESS et son fonctionnement. Pour répondre à ce besoin, les réseaux de chercheurs, collaborant sous forme de partenariats avec les acteurs de l’ESS, jouent un rôle stratégique en matière de développement d’un nouveau savoir. Ce savoir est essentiel au développement de l’ESS.

FONCTION des RESEAUX

Création de nouveaux outils de développement

La plupart des OESS affichent des idées grandioses et ambitieuses pour leurs membres ou communautés, mais elles ne sont pas toujours en mesure de les réaliser par leurs propres moyens. Les réseaux d’ESS peuvent être des outils stratégiques importants pour prendre de l’ampleur, dès lors qu’ils peuvent fournir des ressources et des idées mises en commun pour mener des initiatives majeures. Les outils de développement les plus courants émanant des réseaux d’ESS incluent le développement de nouveaux instruments financiers, les réseaux d’information et les partenariats stratégiques avec des financiers ou des gouvernements. Certains réseaux d’ESS établissent une cartographie de l’ESS au sein de leurs communautés. D’autres créent des instruments destinés à l’e-commerce.

SOUTIEN de l’ESS

Échange d’expertise 

Un nombre important de responsables ou administrateurs d’OESS se sentent mis à l’écart ou mal compris par les services de soutien aux entreprises établis, qui les orientent vers des modèles traditionnels à but lucratif. En conséquence, de nombreux réseaux d’ESS se regroupent pour apprendre les uns des autres, parce qu’ils partagent tous une même finalité, à savoir de combiner des objectifs sociaux à des objectifs économiques afin d’obtenir les résultats fixés pour leurs membres ou la communauté. Des réseaux sont également créés pour le gouvernement ou d’autres partenaires impliqués dans l’ESS.

La planification stratégique à un niveau local, régional et/ou national

L’ESS ne se développera pas en un jour ; le processus requiert une vision à long terme ainsi qu’un plan stratégique permettant aux différents acteurs de collaborer efficacement. Certains réseaux d’ESS ont largement réussi à rallier le soutien souhaité grâce à leur capacité à démontrer, au travers de plans locaux ou nationaux, les contributions de l’ESS au développement socio-économique de leur communauté.

Représentation, promotion et plaidoyer de l’ESS

Obtenir la reconnaissance de la contribution actuelle et potentielle de l’ESS au développement est un enjeu majeur. Cela se confirme au niveau local, national et international. Il n’est pas surprenant d’observer que la plupart des réseaux existants et émergents d’ESS oeuvrent à la promotion de cette dernière, représentant ses intérêts aux côtés d’autres partenaires sociaux et négociant des politiques publiques.

Limites

  1. Un des freins majeurs au développement et à la diversification de l’économie sociale et solidaire hors de ses secteurs historiques : précisément parce qu’ils sont animés par des motivations essentiellement altruistes, les entrepreneurs de l’ESS se désintéressent d’un grand nombre d’activités. Répondre à des besoins sociaux incontestables est la première motivation des entrepreneurs sociaux et solidaires. Si l’économie sociale et solidaire est peu présente dans l’industrie, cela ne tient donc pas principalement au fait que les procédés y mobilisent de grandes quantités de capitaux, même si c’est là un obstacle réel au développement des coopératives.

  2. Un frein potentiel à l’accroissement d’une OESS : La plupart des entrepreneurs sociaux et solidaires ne cherchent pas à faire croître leur organisation, une fois atteint leur objectif de départ. Ce que certains verront comme un défaut est sans doute leur plus grande vertu : les entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire – mais c’est aussi le cas de la plupart des patrons de PME – ont un comportement différent de celui du capitaliste quand celui-ci n’a plus pour objectif que d’accumuler de l’argent, de la richesse sous sa forme abstraite. Ils aspirent à bien vivre, à être justement récompensés de son travail, hors de tout esprit sacrificiel. Ce mélange de goût d’entreprendre, de volonté d’être utile et d’hédonisme tempéré fonde une sorte de « sobriété entrepreneuriale volontaire », qui rend l’économie sociale et solidaire potentiellement compatible avec la quête d’une économie soutenable qui ne sacrifierait pas le bien-être des uns pour augmenter celui des autres.

  3. L’expansion des OESS se fait le plus souvent dans les limites strictes du secteur d’activité initial, ou selon une logique de complémentarité stratégique qui revêt souvent un caractère défensif. D’où ce paradoxe qui voit des organisations sans but lucratif adopté des stratégies de « concentration sur leur métier » proches de celles en vogue chez leurs concurrentes du secteur capitaliste. Le fait que la plupart des organisations de l’économie sociale et solidaire aient été créées en suivant une fin particulière. Les adhérents et sociétaires des mutuelles estiment le plus souvent que la croissance n’est légitime qu’aussi longtemps qu’elle permet d’améliorer les prestations ou de diminuer leur coût. En revanche, ils ne voient pas la nécessité de dégager des excédents permettant d’investir, de se diversifier dans d’autres activités ou de se développer à l’étranger. La taille est pourtant une condition pour réussir à devenir un assureur proactif, notamment si l’on veut disposer d’une présence territoriale et d’un rapport de forces qui rend possible une stratégie de conventionnement des producteurs de soins.

    Le fait même que les organisations de l’économie sociale et solidaire poursuivent toutes un but particulier concret et non une finalité générale abstraite – gagner de l’argent –, limite donc mécaniquement leur propension à se diffuser dans l’ensemble de l’économie.

    Commenté [AS9]: Exemple : La Macif est parvenue à migrer de l’assurance automobile-risques divers, vers l’assurance-vie puis vers la complémentaire santé sous forme assurantielle ou via Macif-mutualité, ou encore dans les services à la personne. La diversification prend ici la forme d’une adaptation à l’évolution stratégique du métier d’origine, qui migre d’un métier d’assureur dommage, à une réponse globale aux besoins de services et de sécurité des personnes tout au long de la vie.

  4. En effet, les activités nouvelles émergent plus facilement dans un environnement préexistant, au sein d’un « écosystème social et solidaire » formé autour d’un ou de plusieurs besoins sociaux. Le choix de fournisseurs, de sous-traitants sociaux et solidaires par les entreprises du secteur et/ou par les collectivités territoriales peut alors jouer un grand rôle dans le développement des organisations sociales et solidaires, soit en substitution d’autres fournisseurs, soit en développant de nouvelles offres qui concourent au développement du tissu d’activités sociales et solidaires.

    Commenté [AS10]: Un exemple concret : une collectivité locale aide à la création d’une auto-école sociale pour appuyer une entreprise d’insertion qui souhaite se diversifier dans le transport de marchandises de proximité

  5. Dès lors que les organisations de l’économie sociale et solidaire sont des sociétés de personnes, toute croissance externe, comme toute internationalisation, y compris dans la même activité, devient rapidement problématique. Au-delà du caractère soit inexistant, soit peu opérationnel des statuts européens d’entreprise sociale et solidaire, ces organisations sont confrontées à deux évolutions possibles : ou bien l’organisation mère choisit d’essaimer de manière désintéressée, en mettant ses savoir-faire et compétences au service des autres – comme l’ont fait par exemple la Macif et la Maif lors de la création de la Mutuelle des motards, en réponse à l’appel de la Fédération des motards en colère –, ou bien elle s’étend en créant ou en rachetant des filiales maintenues sous statut capitaliste et dont elle devient actionnaire unique ou majoritaire – si tant est qu’elle parvient à mobiliser les capitaux nécessaires, comme l’on fait Chèque Déjeuner ou la coopérative Mondragon.

    La première solution n’est que rarement mise en oeuvre compte tenu de l’altruisme qu’elle implique : elle revient à porter sur les fonts baptismaux une structure qui a vocation à devenir indépendante voire à terme concurrente. Inversement, la seconde, quand elle prend de l’ampleur, réduit le champ de la gouvernance démocratique au seul groupe initial ce qui finit par en restreindre la légitimité.

  6. Au-delà du problème de la diversification des activités, les entrepreneurs sociaux et solidaires ne parviennent pas toujours à défendre les positions acquises dans leur propre métier. Le recul de l’économie sociale et solidaire dans des secteurs où elle aurait pu être gagnante comme la distribution (hors commerce associé) ou le tourisme (avec le recul du tourisme social) s’explique ainsi pour partie par l’incapacité des équipes dirigeantes à s’adapter aux changements de l’environnement. La grande stabilité de la gouvernance qu’assure la démocratie mutualiste et coopérative a pu alors contribuer à conduire certaines structures à leur perte.

  7. Dans l’ensemble, les organisations de l’ESS proposent des conditions de travail et de rémunération assez voisines de celles observées dans les autres entreprises, le marché du travail jouant son rôle harmonisateur : l’économie sociale et solidaire n’échappe pas aux contraintes de la concurrence, y compris dans le recrutement de son personnel.

    Si l’OESS peut apparaître comme une alternative aux sociétés de capitaux, en raison de sa non-lucrativité, elle ne se distingue pas fondamentalement des autres organisations sur le plan du rapport salarial : les organisations de l’économie sociale et solidaire embauchent, licencient, négocient salaires et conditions de travail et s’efforcent de dégager des excédents, gage de pérennité de la structure. Là où les directions s’efforcent réellement de mettre en oeuvre un management participatif, respectueux des personnes, donnant à tous un large accès à l’information, et à la formation, les salariés font souvent preuve d’une

    forte implication et d’une grande loyauté envers la structure qui les emploie, ce qui se révèle un puissant facteur d’efficacité. Mais cette règle connaît des exceptions : on rencontre de nombreuses organisations de l’ESS où les formes de régulation salariale ne sont pas meilleures que dans le secteur privé capitaliste.

  8. Le secteur associatif offre des conditions d’emploi bien plus hétérogènes que dans les entreprises capitalistes : nombre de petites associations, aux moyens limités, proposent des emplois qui associent souvent précarité, temps partiel non choisi et faibles rémunérations et où le bénévolat des uns vient parfois justifier les heures supplémentaires non rémunérées des autres... les chiffres en attestent : les 1 802 000 emplois du secteur associatif ne représentent que 1 477 000 emplois en équivalent plein temps. Une meilleure association – le mot n’est pas choisi par hasard – de salariés à la gouvernance permettrait d’assurer à la fois une meilleure protection et un plus fort engagement des salariés. Mais inversement, dans certaines structures associatives, la captation du pouvoir par les salariés peut parfois contribuer à rendre ces organisations peu compétitives dans un secteur où les des donneurs d’ordre publics recherchent le meilleur rapport services/coût.

  9. Le dernier obstacle endogène – et non le moindre – au développement de l’économie sociale et solidaire est le nombre insuffisant de porteurs de projet. Deux raisons au moins peuvent être invoquées pour l’expliquer.

    • Premièrement, si de nombreuses personnes ont un fort goût d’entreprendre et d’autres un grand sens de l’intérêt général, les deux qualités ne se rencontrent pas nécessairement chez les mêmes personnes. Une large partie des personnes qui déclare leur intérêt pour l’économie sociale et solidaire préfère travailler comme salariés dans les structures existantes ou travailler dans les structures parapubliques ou professionnelles qui concourent à son développement, plutôt que de se lancer dans l’aventure d’un projet de création.

    • La seconde raison : l’entrepreneur social et solidaire évite de nombreux secteurs pour des raisons qui tiennent à sa perception de leur faible utilité sociale, ou encore aux conditions de travail ou de rémunération qui les caractérisent, ou enfin au volume de capitaux qu’il faudrait mobiliser. Historiquement, l’économie sociale et solidaire est parvenue à prospérer dans des secteurs où les barrières à l’entrée sont désormais extrêmement hautes pour des raisons économiques ou réglementaires (banque, assurance, etc.). Dans d’autres, à l’inverse, il demeure aisé d’être nouvel entrant, mais le développement de l’activité suppose de parvenir à mobiliser des soutiens publics (secteur social, culturel, sportif, etc.). Comme nous l’avons noté plus haut, la très forte corrélation entre le niveau des prélèvements obligatoires et le développement de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire s’observe également au niveau de la création d’activités : pas facile de créer de nouveaux services SS quand les subventions se font rares !

Ouverture

L’économie sociale et solidaire est assurément en phase avec les attentes du monde politique, soucieux de retrouver de la légitimité en affirmant sa capacité d’agir dans le champ économique et social. Le projet d’une économie portée par la société civile, ancrée dans les territoires, est de nature à séduire les responsables politiques, et pas seulement à gauche. Néanmoins, les principaux partis de gouvernement lui assignent une fonction avant tout sociale et défensive.

L’essor de l’économie sociale et solidaire répond aussi à la demande sociale. Un nombre significatif de jeunes, dans les générations présentes, aspirent à voir le résultat de ce qu’ils font, à être autonomes, à prendre des initiatives – autant de qualités attendues d’un entrepreneur –, mais veulent aussi un travail qui a un sens, qui sert l’intérêt général, et qui leur permettent de gagner correctement leur vie sans nécessairement être plus riches que le voisin…

Le projet d’une économie soutenable et démocratique est en cohérence avec les valeurs portées par l’ESS 

La conversion de notre économie vers un modèle plus démocratique et soutenable, conversion à la fois nécessaire et souhaitable, devrait ainsi se révéler favorable au développement d’organisations qui se reconnaissent dans l’ESS, et inversement.

Une société soucieuse de réduire ses consommations matérielles et de privilégier le bien-être de ses membres donnerait ainsi plus de place aux services aux personnes, aux dynamiques territoriales de proximité, aux circuits courts, aux énergies renouvelables, au recyclage généralisé. Elle privilégierait la démocratie à tous les niveaux, ce qui serait favorable aux sociétés de personnes, associant les différentes parties prenantes intéressées à leur activité. Un tel programme fait écho aux préoccupations de nombreuses structures qui revendiquent leur appartenance à l’économie sociale et solidaire. De même, une telle société encouragerait un nouvel équilibre entre travail salarié – dans un cadre marchand ou non marchand –, activité bénévole et travail domestique, ce qui constitue, là encore, une évolution en phase avec les préoccupations affichées par une partie des organisations de l’économie sociale et solidaire. Reste à mesurer à quelles conditions et avec quelles limites l’ESS peut contribuer à aller dans cette voie.

Adopter une gouvernance réellement démocratique 

La gouvernance démocratique des organisations de l’économie sociale et solidaire a d’abord pour objet d’assurer la pérennité de leur objet social et, en pratique, la reproduction du groupe qui l’incarne. Chaque famille de l’économie sociale et solidaire, selon son statut, donne le pouvoir à une catégorie spécifique d’acteurs : bénévoles dans les associations, adhérents dans les mutuelles, sociétaires ou associés dans les coopératives… Il serait donc souhaitable d’aller vers des modèles de gouvernance associant les différentes parties prenantes en due proportion de leur intérêt, afin de donner plus d’épaisseur à la vie démocratique. Les organisations de l’économie sociale et solidaire affirment, en règle générale, inscrire leur projet dans une démarche d’intérêt général, audelà des intérêts particuliers de leurs adhérents, sociétaires ou associés. En pratique, néanmoins, la majorité des dirigeants du secteur refuse aujourd’hui toute ouverture des structures de gouvernance à des administrateurs extérieurs qui viendraient brider leur autonomie. Ce refus est légitime : l’économie sociale et solidaire n’a pas à s’aligner sur les normes des sociétés de statut capitaliste, qui n’ont pas la même exigence démocratique. Pour autant, il ne serait pas inutile, au nom même de cette exigence, d’apporter un peu de diversité au sein des organes de gouvernance, même si ce principe doit se décliner différemment selon les organisations et les statuts.

Contribuer à des nouvelles façons de satisfaire le besoin

L’ESS « réellement existante », parce qu’elle est profondément encastrée dans notre société, ne constitue pas en tant que telle un laboratoire des transformations souhaitables de notre modèle économique. Si la logique de l’économie sociale – non lucrativité, gouvernance démocratique – a vocation à s’étendre, et notamment à « contaminer » le mode de fonctionnement de toutes les entreprises, il nous faut penser les transformations de notre société en allant au-delà du statut des entreprises, de leur mode de gouvernance, en plaçant en haut de l’agenda les besoins à satisfaire et la définition des nouveaux modes d’organisation sociotechniques à développer pour rendre cette satisfaction soutenable. En résumé, il s’agit de produire, de consommer, de décider « autrement », comme l’affirment les Etats généraux de l’économie sociale et solidaire. Une belle formule, qui laisse cependant en grande partie ouverte la question de savoir en quoi consiste concrètement cet « autrement » auquel les « cahiers d’espérance » rassemblés à cette occasion n’apportent que des réponses parcellaires, au-delà de justes constats et de proclamations qu’on ne peut que partager.

L’enjeu est donc de penser désormais des manières de financer, de produire, de nourrir, de loger, de former, de soigner, de distraire, de déplacer de manière soutenable les dix milliards d’hommes que notre petite planète va compter demain. Les organisations actuelles de l’économie sociale et solidaire ne détiennent qu’une part réduite de l’expertise requise pour mettre en oeuvre de nouvelles filières productives et ne sont qu’une partie de la solution, en termes de dynamique sociale et politique.

Tout l’enjeu, face aux logiques dominantes, est de se montrer capable de réaliser un travail d’ingénierie sociotechnique simultanée, qui pense conjointement l’analyse des besoins à satisfaire, les biens et services qui peuvent y répondre, et les modes d’organisation à même de les délivrer, le tout de manière soutenable et démocratique.

Si de nombreuses initiatives existent, elles demeurent cependant marginales, quand on mesure leur impact sur l’emploi secteur par secteur. Leur influence réelle s’exprime plutôt à travers les transformations des modes de vie, de production et de consommation qu’elles engendrent, qui ont vocation à transcender les nomenclatures existantes (Ex : circuits courts, monnaies complémentaires, etc.)

Développer des logistiques coopératives au-delà du marché 

Sans préjuger de l’avenir, on peut espérer voir les collectivités territoriales jouer un rôle croissant dans l’organisation ou le soutien à la production de biens et services dans de nombreux domaines essentiels à la cohésion sociale, à la qualité de vie : éducation, culture, santé, accueil de la petite enfance, aide et soins aux personnes en situation de dépendance, énergie, alimentation, mobilité, culture, loisirs, etc.

Reste à donner un contenu concret à ces initiatives pour qu’elles ne se limitent pas à une affirmation politique mais prennent un sens concret.

Tout l’enjeu est aussi d’associer à ces initiatives des acteurs qui ne relèvent pas nécessairement de l’ESS. Car la spécialisation sectorielle de celle-ci limite sa capacité à proposer une offre suffisamment diverse de biens et services pour servir de substrat à un système d’échange local. Les promoteurs de monnaie complémentaire ne s’y trompent pas comme on peut le constater à Toulouse, avec le Sol Violette, qui associe nombre d’artisans et commerçants hors du champ ESS avec le soutien de la collectivité qui abonde d’un pourcentage réduit mais significatif (2 %) la conversion d’euros en Sols Violette, nécessairement dépensés auprès d’acteurs de l’agglomération.

Il ne faut cependant pas sous-estimer l’efficacité relative du marché comme forme d’organisation des relations entre acteurs économiques, ni la plasticité des sociétés de capitaux toujours prêtes à s’investir sur de nouveaux marchés pour trouver des opportunités de croissance. Si la volonté de récupération déjà signalée plus haut existe, il ne faut pas pour autant diaboliser les nombreux entrepreneurs individuels qui développent des activités sous forme de sociétés de capitaux dans les secteurs où l’ESS est présente, tout en partageant certaines de ses valeurs, sans juger légitime d’abandonner le contrôle de leur projet. La place dont bénéficiera l’économie sociale et solidaire demain dépendra donc en grande partie de sa capacité à se montrer aussi efficace que le secteur privé tout en se différenciant par son utilité sociale particulière, et sa capacité à faire coopérer différents acteurs sur des modes alternatifs pour proposer des biens et services de meilleur rapport qualité/coût. C’est à cette condition qu’elle pourra aussi justifier l’existence de dispositifs permettant à ses porteurs de projet d’accéder à des financements spécifiques.

Commenté [AS11]: Exemples : Les sociétés de capitaux sont d’ores et déjà fortement présentes dans les services à la personne (Ex : Shiva), la gestion de maisons de retraite (Ex : Colisée Patrimoine Group de Bordeaux, qui embauche des salariés issus de parcours d’insertion en accord avec le Secours catholique dans ses EHPAD), l’accueil des jeunes enfants (Ex : Babilou), l’hospitalisation privée (Ex : Générale de santé), les énergies renouvelables (Ex : Valorem), les nouvelles mobilités (Ex : Bolloré, Jean-Claude Decaux) ou les échanges du biens et services entre ménages (Ex : Au bon coin) et la grande distribution joue désormais la carte de la proximité !

Réguler l’ensemble du système économique 

La juxtaposition des démocraties parcellaires que constituent les organisations de l’ESS contribue-t-elle enfin à démocratiser l’ensemble de l’économie et de la société ? Oui, en ce sens qu’elle produit de la diversité, du pluralisme, et diminue le poids relatif – et donc la capacité d’influence – du secteur capitaliste. Oui, car elle concrétise la volonté de nombreux citoyens de faire pénétrer la citoyenneté dans l’univers de l’économie, notamment via le développement d’activités bénévoles. Oui, dans la mesure où de nombreuses structures de l’ESS contribue sur le terrain à répondre aux questions qui sont au coeur du débat public en matière économique et sociale – chômage de masse, inégalités, protection sociale, crise écologique, conséquences de la mondialisation sur l’emploi, etc.

En revanche, l’hétérogénéité de l’ESS « réelle » limite sa capacité à porter une vision commune de l’intérêt général de la société. Or, les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui appellent aussi des réponses au niveau central, sur les plans de la régulation macroéconomique et de la politique de l’emploi, de la définition des normes encadrant les marchés, des politiques fiscales et sociales. Autant de dossiers essentiels, au coeur du débat démocratique sur l’économie, et sur lesquels l’économie sociale et solidaire n’a pas de discours unifié.

Plus fondamentalement, les organisations de l’ESS n’ont pas vocation à occuper l’ensemble du champ économique. Un tel scénario n’est ni probable, ni souhaitable. Le rêve d’une coopération universelle qui viendrait se substituer totalement au marché tout en rendant l’Etat superflu reformule la promesse communiste d’hier et porte en germe les mêmes dérives liberticides. L’ESS fait sens tant qu’elle est issue d’initiatives décentralisées, portées par les multiples groupes et communautés qui composent la société. Elle fait sens tant qu’elle concrétise un désir partagé de faire et non un acte de soumission à une norme imposée par une autorité supérieure. Et c’est aussi longtemps qu’elle porte des valeurs d’autonomie, de coopération librement choisie qu’elle peut faire envie, et s’étendre.

Sur ces bases, la simple juxtaposition de structures micro-économiques gérées démocratiquement ne peut suffire à apporter une solution à la question démocratique au niveau de la société toute entière. Certains acteurs de l’ESS contribuent cependant à faire émerger ça et là, notamment à l’échelle des territoires, des relations nouvelles entre acteurs. Ces relations entendent limiter la place du marché au profit de formes d’échange et de coopération qui valorisent le lien social et sortent de l’abstraction de l’échange monétaire standard. Ces solutions ont vocation à s’étendre. Mais si l’on admet également que les libertés économiques associées au marché sont un élément essentiel des libertés politiques, la question demeure posée de la place de l’ESS au sein d’une économie structurée par l’articulation entre le marché, outil d’expression de l’autonomie et de la liberté des agents économiques privés, et la puissance publique, garante de l’intérêt collectif et de la cohésion sociale. Dans cette perspective, les acteurs de l’ESS qui aspirent à une économie démocratique et soutenable doivent aussi contribuer, en alliance avec d’autres acteurs, à l’évolution du cadre conventionnel et institutionnel dans lequel fonctionnent le marché et la puissance publique.

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