Remise en cause du paradigme technique moderne

Antoine Bouzin​ (Université de Bordeaux)

Projet ET-LIOS

CC 4.0 BY-NC-SA + licence commerciale ET-LIOS

Introduction

Multiplication et intensification d’événements naturels « catastrophiques »​​

Les catégories de l’urgence écologique

Rôle des ingénieur/ingénieues ?

Les nouveaux risques

Multiplication des catastrophes depuis la 2nde moitié du XXe siècle :

  • Catastrophes (socio)naturelles : sécheresses, inondations, incendies, ouragans, etc. ;

  • Catastrophes technologiques : Affaire du sang contaminé, crise de la vache folle, marées noires, Tchernobyl, Fukushima, usine AZF, usine Lubrizol, etc.

Catastrophes : résultats d’objets techniques introduits dans la nature.

Le progrès en cause

Controverses : séquences de discussions et d’affrontements entre des points de vue divergents sur un sujet.

Controverses socio-techniques (OGM, déchets nucléaires, etc.).

  • Contestation publique d’un artefact ;

  • Incertitudes scientifiques et techniques ;

  • Risques environnementaux et sanitaires ;

  • Grande diversité des acteurs sociaux.

L’ingénierie moderne

Une profession dédiée à la résolution de problèmes

Difficulté à définir la profession d'ingénieur.

  • Multiplicité des termes employés : « mécaniciens », « constructeurs », « architectes », « experts », « compétents ».

Ingenium comme faculté de l’esprit : capacité à « engendrer » des artifices, « ce qui, n’existant pas, est cependant conçu ».

  • Activités orientées vers la résolution de problèmes pratiques ;

  • Engignement : capacité d’imaginer des moyens pour parvenir à un but.

Au service du Progrès

Les révolutions industrielles

Quête d’une maîtrise de la matière.

  • Augmentation massive des découvertes scientifiques ;

  • Technicisation des activités (énergie, télécommunications, transports, agriculture, etc.) ;

  • Sectorisation des sociétés et division sociale du travail.

« Âge des machines » : mobilisation et diffusion des machines dans l’ensemble des sphères de la société.

Nouvelle vision du monde

Vision évolutionniste et déterministe des sociétés au XIXe siècle.

  • Évolution linéaire des sociétés humaines selon une « loi » spécifique ;

  • Le progrès technologique comme finalité de l’Histoire : avènement d’un âge d’or.

Les significations diffusées par l’idéologie du progrès.

  • Assimilation entre progrès technique d’une part, et progrès moral et social d’autre part ;

  • Dissociation entre les changements techniques et leurs effets.

De l’administration d’État à l’industrie

Transformation de la profession d’ingénieur au milieu du XIXe siècle.

  • Intégration dans les grands corps techniques de l’État pour répondre aux besoins militaires, économiques et administratifs du pays.

  • Intégration à l’industrie pour appliquer des savoirs théoriques aux problèmes technologiques

Sacralisation de la figure de l’ingénieur.

  • Signification religieuse du « Progrès » : réalisation du paradis sur Terre ;

  • Innovations technologiques comme « dons de Dieu ».

Le rapport à la « Science »

L’évolution de la pratique scientifique

Un processus de désencastrement du monde social.

  • Régime de la curiosité (XVIIe s.) : expériences publiques spectaculaires ;

  • Régime de l’utilité (XVIIIe s.) : reproductibilité des expériences à l’aide d’instruments ;

  • Régime de l’exactitude (XIXe s.) : recherche de précision et de pureté des résultats, confinement pour éviter les interférences.

Recherche séparée du monde social : isolement dans les laboratoires « tour d’ivoire ».

Le paradigme moderne

Rapport « cartésien » au monde articulé autour de la dualité corps / esprit.

  • Unité du monde naturel : pas de distinction entre les entités naturelles et artificielles ;

  • Dissociation entre « Nature » et « Culture ».

Logique anthropocentrique

  1. Autonomie du monde social capable de s’organiser et de se gouverner hors des déterminismes naturels et surnaturels.

  2. Nature perçue comme réserve inépuisable et inaltérable de ressources légitimement appropriables par l’espèce humaine.

Une conception du monde située

Le projet prométhéen saint-simonien

Coordonner l’ensemble des travaux de l’humanité.

  • Organiser la société sous l’égide des activités productives.

  • Projet technocratique : substituer l’administration des choses au gouvernement des hommes, substituer les experts aux politiques.

Régime industriel : configuration complexe de groupes sociaux, d’organisations et de pratiques socialement structurante.

  • Enrôlement des sciences et techniques au service des enjeux industriels ;

  • Actions de l’État restreintes à la dimension réglementaire.

Une mythologie moderne

Signification religieuse comme réalisation du paradis sur Terre.

  • Émergence d’une théologie de la modernité industrielle ;

  • Innovations technologiques comme « dons de Dieu ».

Place sociale décisive de l’ingénieur au XIXe siècle : agents de la modernisation des sociétés, apôtres du Progrès.

Paradigme technique moderne

Schèmes perceptifs établissant « les problèmes pertinents à prendre en compte, les tâches à accomplir, un schéma d’analyse, les éléments techniques à utiliser et le type d’artefacts à développer et à améliorer ».

  • Orientation téléologique des activités vers la réduction de l’effort des usager·es, la rapidité, l’efficacité, la disponibilité, l’abondance.

Vision cartésienne de la technique : application d’un savoir, manipulation abstraite de l’inerte.

  • Propriétés transitives associées à la définition positiviste de la Science ;

  • Existence d’une « meilleure solution technique », idéalement automatisée pour réduire les incertitudes liées au « facteur humain ».

Le défi écologique

Conséquences sociales des catastrophes

Double méfiance dans l’opinion publique et au sein de l’État.

  • Méfiance à l’égard des progrès technologiques ;

  • Méfiance à l’égard de la capacité de l’État à gérer les risques.

Naissance du mouvement écologiste français dans les années 1960-70.

  • Origine scientifique du terme : « Science des relations des organismes avec le monde environnant » ou la « science des conditions d'existence » ;

  • Préoccupations à l’égard des transformations majeures, parfois irréversibles, infligées à l’environnement par les activités industrielles.

La prise en charge des enjeux

Le virage environnementaliste

Transformations dans les mouvements militants au cours des années 1980.

  • Montée en puissance des ONG environnementales anglo-saxonnes ;

  • Marginalisation des actions de masse et investissement du registre de l’expertise.

Prise en charge de la cause dans les instances internationales, notamment l’ONU.

  • Vision environnementaliste : définition dépolitisée des problèmes écologiques perçus comme d’ordre scientifique et technique.

  • Méthodes et solutions : quantification et évaluation de la nature ;

  • Nouvelles conceptions politiques : « sociétés du risque » et « développement durable ».

Controverse sur les voies d’écologisation des sociétés

La théorie de la modernisation écologique comme solution de continuité.

  • Transition écologique inscrite dans une économie de croissance ;

  • Promesses fondées sur les innovations technologique.

Théories écosocialistes et écomarxistes dans le champ des idées comme solution de rupture.

  • Reconfiguration sociale, politique et économique des sociétés ;

  • Nouvelle hiérarchie des intérêts à prendre en compte : redirection orthogonale vers des projets de planification, de coopération, d’approche métabolique.

Faire confiance aux industriels

Application de la théorie de la modernisation dans les politiques publiques menées aux échelles internationales et nationales.

  • Choix de conférer au champ économique la tâche d’écologiser les sociétés.

Mise en œuvre disparate au sein des organisations :

  • Écologie industrielle : limitation des impacts environnementaux par la maîtrise des flux de matière et d’énergie ;

  • Greenwashing : plans de communication peu ambitieux, application a minima des normes réglementaires ;

  • Croissance verte : monétisation et marchandisation de la bioversité, de l’air, de l’eau, de la terre associées à la notion de services écosystémiques.

L’engagement des ingénieur·es

La rationalité scientifique mobilisée

« A-politisation » des ingénieur·es.

  • Faible intérêt pour les enjeux socio-politiques : très faible présence dans les organes représentatifs syndicaux et parlementaires ;

  • Référence à une rationalité scientifique et technique perçue comme neutre et objective.

Sensibilisation scientifique par le vecteur d’entrepreneurs de cause (rapports et membres de l’IPCC, J.-M. Jancovici, P. Bihouix).

  • Connaissances prescriptives de normes censées servir l’intérêt général.

Les formes de l’engagement

Arène professionnelle : agir « de l’intérieur » au sein des entreprises.

  • « Écologiser » ses activités professionnelles et les actions de l’entreprise ;

  • Tenter de peser sur les pratiques de l’entreprise.

Arène scolaire : transformer les offres de formation des écoles d’ingénieur·es.

  • Faire naître les discussions et le débat en interne pour sensibiliser le corps enseignant, le personnel administratif, les élèves.

Une politisation instrumentale

Acte d’un échec des solutions politiques et économiques mises en œuvre jusqu’à présent.

  • Création ou adhésion à des organisations militantes ;

  • Structuration et coordination des ingénieur·es engagé·es.

Arène politique désormais envisagée comme espace de mobilisation légitime : diversification des actions collectives réalisées.

  • La stratégie du « boycott professionnel » ;

  • Participation aux mouvements sociaux : mobilisations, occupations de site, désobéissance civile.

Les formations à l’épreuve

Histoire des formations

Fonctionnement disparate des 1ères écoles d’ingénieurs (début XVIIIe siècle).

  • Ponts et Chaussées (1747), Génie de Mézières (1748) et Maritime (1765), Mines (1783).

Réorganisation sous la Révolution : prévalence de l’École Polytechnique (1794).

  • Formation générale de deux ans puis spécialisation dans les écoles d’application.

  • À partir du milieu du XIXe siècle : nouvelles écoles fondées sur l’expertise industrielle.

Formation des ingénieur·es dans des « institutions enveloppantes ».

  • Incorporation de connaissances scientifiques et pragmatiques.

L’art des ingénieur·es

Faire des choix : déterminer la meilleure décision possible.

  • Combinaisons d’intentions hétérogènes : le divers social ;

  • Combinaisons de causes : le divers naturel.

Travail d’explicitation des intentions rectrices des activités d’ingénieur·es.

  • Quête de compréhension du monde social sous ses différents aspects : économique, psychologique, politique, sociologique.

Redéfinir l’activité d’ingénieur·e

Incertitudes scientifiques et techniques : mise en relief de l’irréductibilité des objets.

  • Accès par les sciences à une réalité partielle du monde (abstraction, laboratoires).

Conduite de l’ingénierie : monopole du développement technologique par les acteurs dominants du champ économique industriel et numérique.

  • Existence de l’« undone engineering », d’une ingénierie non faite.

Travail de redirection des métiers eux-mêmes.

  • Dénaturaliser le « cahier des charges » économique et intégrer les enjeux propres à l’éthique, aux responsabilités assumées, aux orientations de l’innovation.

Conclusion

Hybridation des sciences et des sociétés

Artefacts au cœur du fonctionnement des sociétés.

  • Organisation sociale comme chaîne d’interactions entre des entités sociales, naturelles et hybrides.

Interroger un artefact donné : interroger une organisation sociale donnée.

  • Artefact saisissable à travers une organisation sociale au sein de laquelle il s’insère.

Ingénieur·es au cœur de ces théories du changement.

  • Nécessité d’un investisement politique des ingénieur·es (« dans la vie de la cité ») ;

  • Nécessité d’insérer les choix des développements technologiques dans le débat démocratique.

Nouvelle forme d’action collective

Émergence du « cause engineering » : figure de l’« ingénieur·e totalement engagé·e ».

  • Refus de la distinction entre les engagements professionnels et extra-professionnels.

Volonté de plus en plus affirmée d’avoir « un impact sur le monde ».

  • Quête de cohérence entre ses convictions et ses valeurs, son activité professionnelle et son engagement militant, son mode de vie et de consommation.

Réévaluation du paradigme technique.

  • Nouveaux critères dans la conception en ingénierie : convivialité, frugalité.

Liste des raccourcis clavier

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